Zone de Texte: 0?/09/1972      Banquet de clôture du Championnat du monde d’échecs à Reykjavik
                                                        Spassky contre Fischer

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Zone de Texte: En 1968, entre deux compétitions d'échecs, Bobby Fischer, accompagné d'un joueur grec et du grand maître yougoslave Petar Trifunovic, fit une excursion à Delphes, où il s'émerveilla devant le temple d'Apollon.
Devant l'autel de la Pythie, Trifunovic aurait alors interrogé l'oracle en ces termes : « Fischer gagnera-t-il le championnat du monde ? » La réponse, pour une fois assez peu sibylline, ne tarda pas : « Il changera son titre. » Déjà sept fois champion des États-unis, l'ancien petit prodige de Brooklyn, à qui ne manquait plus que la couronne mondiale, se serait contenté de sourire. 
Quatre années plus tard, Bobby Fischer, âgé de vingt-neuf ans, n'a plus qu'un obstacle à franchir pour réaliser le rêve qu'il poursuit depuis son enfance. Cet obstacle s'appelle Boris Spassky, tenant du titre depuis 1969. 
Pour parvenir au pied de l'Olympe, l'Américain a effectué un parcours époustouflant en annihilant successivement le Soviétique Mark Taïmanov et le Danois Bent Larsen sur le score incroyable de 6-0.
En finale des candidats, il est assez facilement venu à bout de l'ex-champion du monde Tigran Petrossian, qui, s'il ne gagnait pas beaucoup de parties, avait la réputation d'en perdre encore moins. 
Cette irrésistible ascension inquiéta, dès ses premiers signes, les dirigeants soviétiques, soucieux de conserver un titre prestigieux que l'URSS détenait sans interruption depuis 1948. Les échecs, jeu préféré de Lénine, qui y voyait la "gymnastique de l'esprit", étaient devenus une vitrine du régime. Comme l'a écrit, après la chute de l'Union soviétique, le grand maître Youri Averbakh, "dans le contexte de la guerre froide entre l'Est et l'Ouest, l'idéologie soviétique a cherché à transposer les batailles échiquéennes avec Fischer en batailles politiques, en une lutte entre deux mondes, deux systèmes". Même si, en cette année 1972, l'heure était plutôt à la détente, avec notamment la rencontre Brejnev-Nixon et la signature du traité SALT sur la limitation des armements stratégiques, il n'était pas question pour l'URSS qu'un Yankee égoïste et mal élevé de surcroît s'empare du joyau de la couronne. 
Après la cinglante défaite de Taïmanov, en 1971, en quarts de finale du tournoi des candidats, une réunion de la plupart des grands maîtres soviétiques dont Spassky avait conclu à la nécessité de dresser une analyse approfondie du jeu et de la psychologie de Fischer en vue des rencontres futures. Si le premier volet de cette étude fut facilement effectué par une poignée de joueurs émérites, le second ne vit jamais le jour, l'Américain et son caractère de cochon restant une énigme. 
La crinière de Boris Spassky est aujourd'hui toute blanche. A soixante ans, l'ex-champion du monde naturalisé français coule une retraite paisible dans un pavillon de la banlieue parisienne, non loin de courts de tennis, sport qu'il a toujours pratiqué pour se tenir en forme. C'est sans véritable nostalgie qu'il évoque ce que la presse mondiale appela le « match du siècle » : Fischer-Spassky, Reykjavik, 1972. Pour lui, qui n'était pas membre du Parti communiste, la politique n'est jamais entrée en ligne de compte, même s'il savait qu'on ne lui pardonnerait pas la défaite. La pression était purement sportive : "Le roi est toujours seul, personne ne l'aide. Il porte une responsabilité considérable et c'est la tragédie de tous les souverains", dit-il, philosophe. 
Quand il arriva dans la capitale islandaise, dix jours avant le début programmé du match, le champion soviétique n'avait cependant pas la moindre idée de la torture psychologique à laquelle Fischer, volontairement ou pas, allait le soumettre. Tout d'abord, l'Américain, grand râleur et chicaneur devant l'éternel, ne voulait pas jouer à Reykjavik, qui avait proposé une bourse de 125 000 dollars pour le match, somme considérable à l'époque, mais pas aussi importante que celles offertes par d'autres villes. 
Une guerre des nerfs s'était ouverte entre la Fédération internationale des échecs (FIDE) et lui : Fischer exigeait plus d'argent et attendait à New York. Le 1e juillet eut lieu la cérémonie d'ouverture, sans la «diva ». Nombreux étaient ceux qui ne croyaient plus en sa venue. Fischer n'avait-il pas, à plusieurs reprises dans le passé, claqué la porte de tournois ? A la veille de la disqualification de l'Américain, miracle ! Un banquier londonien amoureux d'échecs doublait la mise pour que le match du siècle eût lieu. Le lendemain, Bobby-le-Terrible foulait le sol
islandais. La pression n'en retomba pas pour autant. La délégation soviétique, pour se venger, boycotta le tirage au sort et exigea des excuses que Fischer, après moult tergiversations, finit par rédiger malgré son orgueil. C'est dans cette ambiance de Cocotte-Minute que le match commença, le 11 juillet, devant une salle comble. 
La nulle était en vue lorsque les longs doigts fuselés du « loup de Brooklyn » se saisirent d'un fou et l'échangèrent contre un pion adverse. L'Américain sacrifiait une pièce contre deux pions, coup inconsidéré dont les amateurs d'échecs discutent encore aujourd'hui. 
Spassky ne manqua pas l'occasion d'exécuter proprement son adversaire.
Peu après la partie, Fischer annonça qu'il ne jouerait pas tant que les caméras de télévision qu'il n'a jamais supportées, ainsi que les appareils photo, les journalistes et les spectateurs bruyants n'auraient pas été supprimées. Comptant sur cette source de revenus pour équilibrer leur budget, les Islandais refusèrent. Fischer ne se présenta pas pour la deuxième partie et fut déclaré forfait. Spassky, désolé, menait deux à zéro. 
Laissons-le raconter la suite. "Pour sauver le match, j'ai accepté de jouer la troisième partie dans une salle close, sans spectateur. En cédant aux exigences de Bobby, des conditions humiliantes pour moi, j'ai commis ma principale erreur. J'y ai perdu ma combativité et, quand ceci arrive, vous êtes mort. Je me suis suicidé, j'ai fait hara-kiri.J'aurais pu rendre le point en ne jouant pas la troisième partie, comme l'ancien champion du monde Mikhaïl Tal l'a suggéré, ce qui aurait placé mon adversaire dans une très délicate position sur le plan psychologique." Mais Spassky ne rendit pas le point et se montra inexistant dans la troisième partie. 
Pour la première fois de sa carrière, Fischer le battit.

Spassky contre Fischer, 1972Menu Reykjavik, septembre 1972

 

 

Bobby Fischer roi des échecs

LEMONDE.FR | 24.03.05 |

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